"Quand la direction du CHU de Toulouse manipule le résultat d’un marché public"

​Nous évoquions déjà cette triste affaire dans cet article avec la résolution proposée par la CGT du CHU, Médiacités publie aujourdhui cet article édifiant : Article publié dans Médiacités du 19 juin 2023



​Voilà une semaine, nous révélions le chantier de désamiantage quasi sauvage opéré par l’entreprise Cassin en plein coeur de l’hôpital Purpan à Toulouse. Ce n’est pas la première fois que le CHU fait appel à cette entreprise, dont les tarifs extrêmement bas défient toute concurrence. Pour s’attacher ses services, la direction de l’hôpital n’a pas hésité à manipuler un classement d’appel d’offres, permettant au groupe Cassin de remporter un autre chantier. Une pratique susceptible de relever du délit de favoritisme…

​En février 2021, le CHU de Toulouse lance un appel d’offres pour démolir le pavillon Putois, et l’annexe Laporte, deux bâtiments situés dans le secteur nord de l’hôpital Purpan. Quatre entreprises candidatent : le groupe GBMP, le groupe Cassin, 4D Démolitions et GCC. Cette dernière dépose l’offre la plus chère (5 millions d’euros). Viennent ensuite GBMP (4,7 millions d’euros), 4D Démolitions (4,3 millions d’euros) et Cassin avec une offre à 3,3 millions d’euros.


Une offre « sous‐évaluée » et « irrégulière »

​Cette proposition paraît trop belle pour être vraie à l’équipe chargée de la maîtrise d’oeuvre (composée de la société TPF Ingenierie, de l’atelier d’architecte A4 et de deux bureaux de contrôles). « Offre présentant des prix de démolition très très bas », alertent-ils dans une note d’analyse financière datée du 30 avril 2021. Une série de questions sont alors envoyées à ​l’entreprise pour vérifier la conformité de son offre et comprendre son faible montant.
​ Cassin répond un mois plus tard, mais ses arguments ne convainquent pas le responsable de la maîtrise d’oeuvre. « Les précisions fournies confirment un chiffrage anormalement bas de l’entreprise », conclut-il, mettant en avant des « volumes de travail trop faibles », des « taux horaires incohérents », un « manque d’outillages spécialisés » ainsi que des « méthodes et temps de travail des engins de démolition, trop faibles et non adaptés ».


​Le 21 juin, la direction du pôle Patrimoine immobilier et services techniques (PISTE) du CHU
reçoit un rapport complet de l’ensemble des offres, qui reprend les rapports d’analyses et les mémoires techniques rédigés par la maîtrise d’oeuvre. Mediacités a pu consulter le classement des entreprises candidates. La gagnante était le Groupe GBMP, qui cochait toutes les cases pour mener à bien le chantier. Cassin arrivait en deuxième position.
​Selon des informations que nous nous sommes procurées, l’ingénieur chargé du rapport n’est pas tendre avec le groupe de BTP présidé par Patrick Cassin. Au vu des justifications « insuffisamment précises » et « insatisfaisantes », il juge « nécessaire de déclarer anormalement basse l’offre de Cassin ». Plus grave, celle-ci est « manifestement sous-évaluée » et pourrait même « compromettre la bonne exécution de l’opération et la continuité du service hospitalier », juge t-il. L’ingénieur recommande de « la considérer comme irrégulière, la rejeter et ne pas l’intégrer au Rapport d’Analyse des Offres ».


Cassin, choisie malgré tout

​Cet agent a-t-il été trop sévère avec cette candidature ? Pas du tout. Il ne fait que se conformer au code de la commande publique. Selon l’article L2152-6, « l’acheteur met en oeuvre tous moyens lui permettant de détecter les offres anormalement basses. Et « si, après vérification des justifications fournies par l’opérateur économique, l’acheteur établit que l’offre est anormalement basse, il la rejette ».
​Le respect de la législation par cet ingénieur ne satisfait pourtant pas sa hiérarchie. Le 22 juin, il reçoit un mail de sa responsable. « Ta note ne répond pas, il me semble, à la demande de notre direction, attaque-t-elle. Peux-tu la reprendre en supprimant tes conclusions et en indiquant que le rapport d’analyse des offres (RAO) a été modifié à la demande de la direction, que le 1er est donc Cassin ».

​Pour l’ingénieur, impossible de répondre favorablement à cette demande. « Je ne peux pas prendre personnellement la responsabilité d’effectuer les modifications qui vont à l’encontre de l’analyse transmise », rétorque-t-il. Sa responsable n’en a cure. « Je transmettrai s’il le faut le RAO modifié si la conclusion est bien de retenir Cassin, je ne perdrai pas l’énergie sur une RAO modifié si la conclusion est bien de retenir Cassin, je ne perdrai pas l’énergie sur une décision déjà prise par notre direction ». Le rapport d’analyse des offres est donc modifié. Cassin est classé premier et remporte l’appel d’offres.

​Interrogés à ce sujet, ni le groupe Cassin ni le groupe GBMP n’ont donné suite à nos sollicitations.


Un salarié rappelé à l’ordre

​L’histoire aurait pu s’arrêter là. Mais la droiture de l’ingénieur lui a valu par la suite des remontrances de sa hiérarchie. Lors de son entretien professionnel annuel, en septembre 2022, Frank Natale, directeur du pôle PISTE, attend au tournant son salarié récalcitrant. « Une mise au point a été faite en cours d’année écoulée quant à l’approche de M. X sur l’approche technique et marché de l’opération de démolition Putois », écrit-il dans le compte-rendu des échanges que nous avons pu consulter.

​Le directeur somme son subordonné de « faire des choix dans sa démarche, soit de suivre le fonctionnement de l’équipe dans les projets confiés et d’apporter une force de proposition, soit d’être dans une contestation systématique et de nourrir une défiance sur ce qui est développé ». Et de conclure : « Il devra dans tous les cas se ranger aux choix portés et ne plus être dans une position de contestation par principe ».

​Contestant ces observations « non objectives, non justifiées, préjudiciables à mon évolution professionnelle, salariale », l’ingénieur demande en novembre 2022 qu’elles soient supprimées ou modifiées. « Refuser d’accomplir une tâche qui nécessite d’enfreindre la loi et qui, de surcroît, ne relève pas de mes compétences et attributions, ne peut caractériser une insubordination », argumente-t-il par écrit en décembre, devant la commission consultative paritaire, saisie pour une révision de son rapport d’entretien professionnel. Sans succès jusqu’à présent.


Un cas de favoritisme ?

​Au-delà du cas personnel de cet ingénieur, l’intervention de la direction du CHU pour modifier les conclusions de l’appel d’offres au bénéfice de l’entreprise Cassin pourrait relever du délit de favoritisme. « L’attribution d’un marché au mépris des règles du Code des marchés publics » peut constituer un avantage injustifié, selon la jurisprudence, comme relevait dans une note, l’avocat Matthieu Hénon, avocat au cabinet Seban et Associés.

​Or le fait de procurer à autrui « un avantage injustifié par un acte contraire aux dispositions législatives ou réglementaires ayant pour objet de garantir la liberté d’accès et l’égalité des candidats dans les marchés publics », est puni de deux ans d’emprisonnement et d’une amende de 200 000 euros, selon l’article 432–14 du code pénal.

​Contactée dès le 12 juin, la direction du CHU de Toulouse n’a pas été en mesure de nous répondre à l’heure où nous publions cet article.


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